« Apprendre quelque chose (de plus) de la catastrophe », article de journaliste

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La fille d’un de mes amis allemands était au Bataclan ce vendredi-là, avec son mari. Ils ont vécu 3 heures d’enfer. Recueillis par un de leurs amis, journaliste, ce dernier témoigne des « leçons » qu’ils en tirent et qu’ils proposent.

Je ne fais ici que traduire, aussi bien que je le peux, son article  en français.

Ci-contre : photo du journaliste.

« Apprendre de la catastrophe

Par Martin Benninghoff le 18 Novembre 2015- (journaliste allemand)

Les attentats à Paris provoquent les mêmes vieux réflexes de politiciens et journalistes.

Deux survivants du massacre de la salle de concert Bataclan montrent comment faire mieux que cela.

Ceci est un court texte traitant des réflexes. Et de Julia et Thomas. Ces deux habitants de Cologne purent échapper péniblement vendredi soir au massacre de la salle de concert de Paris. Quand tous deux le dimanche – au sens figuré – se secouaient encore les débris et la poussière de la catastrophe des  vêtements pour, après quelques heures, revenir à la vie normale, ils ont dit, c’est bien, que nous soyons encore en vie. Mais dès la deuxième phrase, le message a été clair : personne ne devrait maintenant tempêter contre les réfugiés ou contre les musulmans, juste parce que les auteurs étaient des islamistes ou parce que l’un deux pouvait s’être infiltré par le chemin de réfugiés vers l’Europe.

Oh mon Dieu, comme on crierait volontiers ceci aux Saints-M. S. ou M.M. de ce monde (= respectivement homme politique allemand et journaliste) : ceux qui tirent des conclusions, par réaction instinctive, du comportement de terroristes islamistes radicalisés pour les appliquer à de grands groupes comme les musulmans ou les réfugiés, et même s’ils ne le font pas créent un système d’associations devant déclencher des réflexes favorables pour eux auprès d’électeurs ou de lecteurs. La possibilité indéniable que les islamistes individuels puissent s’infiltreren Europe parmi les milliers de réfugiés, est utilisée abusivementcomme véhicule de la critique générale de l’immigration.

Les boucs émissaires, les musulmans, ne peuvent alors que se défendre avec une froide raideur. « Cela n’a rien à voir avec l’islam » est une  phrase faible, qui, réductrice à une cause unique, n’est pas davantage adéquate. Actuellement, on l’entend rarement , mais les prises de distance s’accumulent sans cesse. La communauté turque dit: « Nous autres, musulmans, devons maintenant condamner la terreur de sorte que cela soit fortement audible pour tous », et huit organisations musulmanes proclament à l’unisson que les musulmans prennent parti contre le terrorisme et toutes les formes de violence.

Comme si on devait le souligner ! C’est là une façon de prendre les devants face à une opinion publique qui est à la recherche de coupables. Non seulement les musulmans ont déjà une très mauvaise image auprès de nos contemporains, mais de plus, à présent, les terroristes sont des musulmans et se réfèrent l’islam. Cela nous mène à la situation absurde que même un groupe comme la «Fédération islamique libérale », un petit club de musulmans laïques et libéraux – à peu près aussi éloigné de la terreur que la communauté protestante d’à côté -, se distancie désormais dans plusieurs communiqués de presse de ces attentats.Si on en est là, alors l’IG Metall (= syndicat allemand de la metallurgie) doit se distancier lui aussi. [ndlr : comme si l’on disait en français, la cgt]

Psychologiquement, on peut expliquer un tel engrenage de réflexes. Mais puisque nous en sommes maintenant tous arrivés à ce point, nous devrions bloquer le réflexe suivant et ne pas rendre les musulmans dans leur ensemble coupables de cette radicalisation. Même un S., même un M. feraient bien d’avoirla grandeur intellectuelle d’adopter différenciation et précision.C’est précisément les personnages publics qui devraient avoir ces préoccupations à cœur, surtout quand parfois à la table de bistrot la raison déraille.

Être précis, cela implique :

  1. Ne mettons pas tous les musulmans qui nous entourent sous le soupçon généralisé.
  1. Aidons les associations musulmanes dans la lutte contre la radicalisation des membres individuels ou de leurs enfants. Il règne souvent dans celles-ci un désarroi et une impuissance quant à la manière de s’opposer aux prédicateurs charismatiques d’Internet appartenant à la mouvance salafiste.

(3) Ensemble, avec ces organisations de musulmans, il peut être plus facile de contrecarrer ces groupes islamistes et salafistes peu nombreux mais très bien organisés.

Si même les survivants d’une attaque islamiste ont la grandeur d’âme de différencier et de clarifier plutôt que de s’abandonner à leurs seuls réflexes, alors il n’y a aucune excuse pour les gens comme S. ou M..

Julia et Thomas étaient de simples spectateurs, et ils ont devancé de très loin intellectuellement de nombreux politiciens et de nombreux journalistes.

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Martin Benninghoff, journaliste à Berlin, est co-auteur du livre « La révolte des filles voilées », qui traite de la réforme de l’islam et de l’intégration en Europe. Sa tribune dans l' »Opinionclub » «passeurs de frontières» paraît un mercredi sur deux. »

4 réflexions sur “« Apprendre quelque chose (de plus) de la catastrophe », article de journaliste

  1. Merci Claude de cette mise en garde contre l’amalgame. Heureusement, cette fois ci, contrairement à l’attentat de janvier contre Charlie Hebdo, une majorité de nos concitoyens se rend compte que, derrière la barbe, se cache une fausse barbe de motif soi-disant religieux… La barbarie du 13 novembre aura au moins eu cet aspect positif.

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